Le déterminant du genre impacte fortement le choix du métier exercé. Sur 84 familles professionnelles, seulement 14 d’entre elles comptent 70% de femmes alors que 43 familles totalisent 70% d’hommes. Concrètement, cela veut dire que les femmes sont surreprésentées dans quelques secteurs bien spécifiques. Ces secteurs ont pour caractéristiques communes d’être des secteurs précaires et peu rémunérateurs. Et c’est le cas du care qui, selon [Fischer et Tronto], est “une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible.” Assez étrangement, ce secteur essentiel ne rémunère pas à la juste valeur ses salariés, et surtout les femmes qui y exercent.
Dans la fonction hospitalière, le salaire net des femmes est inférieur de 20,5 % à celui des hommes. Comment expliquer cette différence ? Cet écart traduit principalement “des répartitions différentes des femmes et des hommes selon les métiers (catégorie hiérarchique, statut, filière d’emploi)”. En France, en 2018, on dénombre environ 700 000 infirmièr.e.s dont 87% sont des femmes. Le chiffre est identique pour les aide soignants : à 87% des femmes. A caractéristiques et métiers identiques, l’écart salarial dans la fonction hospitalière est réduit à 3,5%. Même si bien sûr, il ne devrait pas exister, ce dernier chiffre permet de souligner que l’enjeu des inégalités dans la fonction hospitalière est surtout ici dans l’orientation et le choix de la filière, l’accès aux postes à responsabilités et la maternité, avec notamment un recours accru au temps partiel, qui freine significativement la carrière des femmes et impacte négativement leur rémunération.
Mais comment expliquer que les femmes choisissent massivement alors de s’orienter vers ce secteur et sur les métiers les moins rémunérateurs qui le composent ? Existerait-il des prédispositions physiologiques et cérébrales ? A priori, non...
Il est rassurant de se dire que les femmes ont des qualités que les hommes n’ont pas et vice versa. Et donc que ces qualités amèneraient les femmes à travailler dans les métiers du care. Dans la réalité : ce postulat est faux.
Et alors, qu’est-ce qui amène à ces choix d’orientation ? La société et les doux stéréotypes auxquels elle nous fait croire.
Au travail les hommes et les femmes sont définis dans nos sociétés par les qualités
suivantes :
Qualités dites “instrumentales” pour les hommes : force, indépendance, capacité de prise de décision, capacité à prendre la parole, ambition, agressivité etc.
Et des qualités dites « relationnelles » pour les femmes : empathie, maternalisme, sensibilité, chaleur…
Concrètement cela donne des phrases comme :
"Brigitte sera super sur ce poste, avoir une femme nous permettra d'instaurer un climat plus chaleureux au sein de l'équipe. Avoir une femme manager va amener de la douceur et de l'organisation".
"Il nous faut quelqu'un qui ait de la poigne pour gérer cette situation de crise. Quelqu'un qui sait prendre des décisions objectives rapidement et sans état d'âme. Un homme sera parfait. Proposons à Pierre !"
Et bim ! Vous avez déjà pensé ou énoncé ces phrases ? vous avez déjà entendu quelque'un au travail les dire et vous n'avez rien rétorqué ? pas de panique ! Ne vous dénoncez pas à la police des stéréotypes. :-) Vous l'aurez compris ces qualités que l'on attribue aux deux sexes ne sont pas des qualités intrinséques, génétiques, ou encore naturelles. Elles ne correspondent pas à une réalité objective mais bien subjective ! C’est simplement le fruit d’une vision des femmes et des hommes de la société : les stéréotypes.
Les stéréotypes de genre ont tous une caractéristique remarquable : ils portent sur des contenus qui deviennent négatifs lorsqu'ils sont attribués à un sexe et positifs pour l'autre sexe. Par exemple, un homme qui présente des qualités emphatiques au travail va peut être moins être valorisé dans son évolution de carrière qu'un homme avec de l'ambition.
Ce qui est problématique avec les stéréotypes c'est qu'ils enferment dans un rôle social assigné. Si en plus de cette assignation, il y a également un rôle normatif à votre métier et bien c'est encore plus difficile ! Prenons l'exemple du métier d'une psychanalyste. Une psychanalyste qui parle et fait des retours à ses patients ne correspond pas à l'image classique du métier. L'image commune voire le stéréotype de métier du psychanalyste est souvent celui du praticien qui ne dit jamais rien pendant la séance. Et bien heureusement la psychanalyse a largement évolué ! beaucoup de psychanalystes utilisent l'humour en séance, proposent des séances en visio. Et alors ? et bien si vous êtes face à une psychanalyste qui exerce de cette manière et que cela ne correspond pas à l'image que vous aviez de son métier, peut être que votre déroute va vous amener à ne pas continuer les séances avec elle. Le rôle normatif du métier étant trop fort et provoquant une situation émotionnelle forte, vous allez faire marche arrière. C'est ça le rôle normatif du métier. Alors si en plus vous êtes sous le joug d'un stéréotype de genre, c'est la double peine !
Prenons un autre exemple, celui du rôle d’un manager d'équipe. Ce rôle de leader est normativement proscrit pour les femmes. Pourquoi ? parce que les caractéristiques plus individuelles édictées par la norme comme la confiance en soi, l'agressivité et la compétitivité sont proscrits pour les femmes. Une femme manager qui a confiance en elle et qui aime la compétition, cela paraît parfois "louche" ou problématique "elle est trop cash". Une femme avec un franc parler peut être qualifiée d'agressive par exemple et cela peut être disqualifiant pour son évolution de carrière. Alors qu'un homme avec ce même franc parler pourra bénéficier d'un avancement de carrière plus rapide car dans ce cas précis cela ne sera pas problématique "Oui c'est vrai, il peut être un peu brute mais il est tellement efficace !" Et c'est ainsi que les caractéristiques féminines que l'on attend d'une femme (douceur etc...) sont des obstacles à celles du rôle normatif du leader. Cela constitue donc une barrière psychique à l'avancement de carrière des femmes.
Plusieurs études en psychologie sociale nous montrent que de nombreuses organisations privilégient une norme de masculinité dans la définition et la valorisation des attitudes et styles de comportement à adopter. Aïe et oui ça fait mal, et pourtant c’est encore vrai. On a encore du travail !
Alors, comment peut-on faire évoluer sensiblement les mentalités, bousculer les stéréotypes et ouvrir beaucoup plus largement le champ des possibles aux femmes ? Le rôle de l’éducation est primordial. Cessons d’enfermer les enfants dans des rôles genrés. En ce sens, la série Culottées, adaptée des BD de Pénélope Bagieu, est une bouffée d’inspiration qui devrait être projetée dans toutes les écoles. Prenons le temps également en entreprise et en collectivité de nous interroger sur les biais de sexe auxquels nous sommes soumis et qui nous influencent les choix de recrutement sur tel ou tel critère. Attention, cela paraît simple de prime abord ! Et pourtant s’interroger sur ses propres biais demandent de le faire avec quelqu’un d’extérieur spécialisé sur ces questions qui va pouvoir interroger les process de recrutement, d'évolution de carrière, d'entretien d'évaluation. C’est par exemple le travail du psychologue du travail. Puis, l’enjeu est bien sûr en parallèle de valoriser davantage les secteurs où les femmes sont majoritairement positionnées. Take care et paye toi !
Une chronique rédigée par Céline Allain, Consultante en psychologie du travail, Cheffe d'entreprise de Facteur Humain & Anne-Laure Guihéneuf, Sociologue et experte en RSE.
1 Source : INSEE
2 Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238670
4 Source : https://www.france.tv/france-5/culottees/
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